La fraude aux déclarations d’heures dans le cadre du chômage partiel : un délit aux conséquences graves

La crise sanitaire liée au Covid-19 a entraîné un recours massif au dispositif de chômage partiel par les entreprises françaises. Si ce mécanisme a permis de préserver de nombreux emplois, il a malheureusement aussi donné lieu à des abus. La fraude aux déclarations d’heures de chômage partiel constitue un délit qui fait l’objet d’une attention accrue des autorités. Entre sanctions pénales, administratives et financières, les risques encourus par les employeurs indélicats sont considérables. Examinons en détail ce phénomène et ses implications juridiques.

Le cadre légal du chômage partiel en France

Le dispositif de chômage partiel, également appelé activité partielle, permet aux entreprises confrontées à des difficultés économiques de réduire temporairement le temps de travail de leurs salariés. L’État prend alors en charge une partie de leur rémunération afin de préserver les emplois.

Le cadre juridique du chômage partiel est défini par les articles L5122-1 et suivants du Code du travail. Pour en bénéficier, l’employeur doit effectuer une demande préalable auprès de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS). Il doit ensuite déclarer chaque mois le nombre d’heures chômées par salarié.

La mise en œuvre du chômage partiel implique plusieurs obligations pour l’employeur :

  • Consulter les représentants du personnel
  • Informer individuellement les salariés
  • Verser une indemnité aux salariés placés en activité partielle
  • Tenir à jour un registre des heures chômées

Le non-respect de ces obligations, et en particulier la déclaration d’heures chômées fictives, constitue une fraude passible de lourdes sanctions.

Les différentes formes de fraude aux déclarations d’heures

La fraude aux déclarations d’heures de chômage partiel peut prendre diverses formes, plus ou moins sophistiquées. Parmi les pratiques frauduleuses les plus courantes, on peut citer :

La surévaluation du nombre d’heures chômées : l’employeur déclare davantage d’heures non travaillées que la réalité, afin de percevoir une indemnisation plus importante de l’État.

La déclaration d’heures fictives pour des salariés ayant en réalité continué à travailler normalement. Cette fraude est particulièrement répandue dans les secteurs où le télétravail est possible.

Le gonflement des effectifs en déclarant des salariés fictifs ou ayant quitté l’entreprise.

La minoration du temps de travail habituel des salariés à temps partiel, afin d’augmenter artificiellement le nombre d’heures chômées indemnisables.

Ces pratiques frauduleuses peuvent être mises en place à l’insu des salariés, ou avec leur complicité moyennant une rétribution.

Le cas particulier des entreprises multi-établissements

Les entreprises disposant de plusieurs établissements peuvent être tentées de mettre en place des mécanismes de fraude plus complexes. Par exemple en déclarant du chômage partiel dans certains établissements tout en faisant travailler les salariés concernés dans d’autres sites.

Ce type de fraude est plus difficile à détecter et nécessite des investigations poussées de la part des services de contrôle.

Les mécanismes de détection et de contrôle

Face à l’ampleur du recours au chômage partiel pendant la crise sanitaire, les pouvoirs publics ont renforcé les moyens de contrôle et de détection des fraudes.

La Direction générale du travail (DGT) a mis en place un plan de contrôle national, piloté au niveau régional par les DREETS. Ces contrôles s’appuient sur plusieurs outils :

  • Le data mining pour détecter les anomalies dans les déclarations
  • Le croisement des données avec d’autres administrations (URSSAF, impôts…)
  • Les signalements de salariés ou de concurrents
  • Les contrôles sur pièces et sur place

Les inspecteurs du travail sont particulièrement vigilants sur certains signaux d’alerte comme :

– Un volume d’heures chômées anormalement élevé par rapport au secteur d’activité

– Des incohérences entre les déclarations et l’activité réelle de l’entreprise

– Des déclarations identiques d’un mois sur l’autre

En cas de suspicion de fraude, les agents de contrôle peuvent demander la communication de nombreux documents : registre du personnel, plannings, relevés bancaires, factures, etc.

Le rôle des salariés dans la détection des fraudes

Les salariés jouent un rôle crucial dans la détection des fraudes au chômage partiel. Ils peuvent signaler les abus dont ils ont connaissance auprès de l’inspection du travail ou du procureur de la République.

La loi protège les lanceurs d’alerte contre d’éventuelles mesures de rétorsion de la part de leur employeur. Toutefois, les fausses accusations peuvent être sanctionnées pénalement.

Les sanctions encourues en cas de fraude avérée

La fraude aux déclarations d’heures de chômage partiel expose l’employeur à un large éventail de sanctions, sur les plans pénal, administratif et civil.

Sur le plan pénal, l’article L5124-1 du Code du travail prévoit une peine de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour toute personne ayant frauduleusement obtenu ou tenté d’obtenir des allocations d’activité partielle.

Des peines complémentaires peuvent être prononcées, comme l’interdiction de gérer une entreprise ou l’exclusion des marchés publics.

Sur le plan administratif, l’employeur s’expose à :

  • Le remboursement intégral des sommes indûment perçues
  • Une amende administrative pouvant atteindre 4 000 € par salarié concerné
  • L’exclusion du bénéfice des aides publiques pendant 5 ans maximum

Enfin, sur le plan civil, l’employeur peut être condamné à verser des dommages et intérêts aux salariés lésés.

La responsabilité pénale des dirigeants

En cas de fraude organisée au niveau de l’entreprise, la responsabilité pénale des dirigeants peut être engagée. Ils s’exposent alors personnellement aux sanctions prévues par la loi.

La jurisprudence tend à considérer que le dirigeant ne peut ignorer une fraude de grande ampleur au sein de son entreprise. Sa responsabilité peut donc être retenue même s’il n’a pas directement participé aux manœuvres frauduleuses.

Les enjeux de la lutte contre la fraude au chômage partiel

La lutte contre la fraude aux déclarations d’heures de chômage partiel représente un enjeu majeur pour les pouvoirs publics, à plusieurs titres.

Sur le plan financier tout d’abord, les sommes en jeu sont considérables. Selon un rapport de la Cour des comptes, le montant des fraudes détectées s’élevait à plus de 200 millions d’euros fin 2021. Et ce chiffre ne représente probablement qu’une partie des fraudes réelles.

Au-delà de l’aspect budgétaire, c’est la crédibilité même du dispositif de chômage partiel qui est en jeu. Les fraudes massives risquent de remettre en cause la pertinence de ce mécanisme de soutien à l’emploi en période de crise.

Enfin, la lutte contre la fraude vise à rétablir l’équité entre les entreprises. Les fraudeurs bénéficient en effet d’un avantage concurrentiel indu par rapport aux entreprises respectueuses de la loi.

Vers un renforcement des contrôles ?

Face à l’ampleur du phénomène, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer un renforcement des contrôles et des sanctions. Plusieurs pistes sont évoquées :

  • Augmentation des effectifs dédiés aux contrôles
  • Mise en place d’un fichier national des fraudeurs
  • Allongement du délai de prescription
  • Alourdissement des sanctions financières

Ces mesures devront toutefois trouver un équilibre entre efficacité de la lutte anti-fraude et préservation des droits des entreprises.

Prévenir la fraude : bonnes pratiques pour les employeurs

Face aux risques encourus, les employeurs ont tout intérêt à mettre en place des procédures internes rigoureuses pour prévenir toute fraude aux déclarations d’heures de chômage partiel.

Parmi les bonnes pratiques recommandées, on peut citer :

  • Former les équipes RH et comptables aux règles du chômage partiel
  • Mettre en place un système fiable de suivi du temps de travail
  • Conserver tous les justificatifs liés à l’activité partielle
  • Informer régulièrement les salariés sur leurs droits
  • Effectuer des audits internes réguliers

En cas de doute sur l’interprétation des règles, il est préférable de solliciter l’avis de la DREETS avant toute déclaration.

Le rôle clé des experts-comptables

Les experts-comptables jouent un rôle crucial dans la prévention des fraudes au chômage partiel. Leur expertise permet de sécuriser les déclarations et d’alerter leurs clients sur d’éventuelles irrégularités.

Leur responsabilité peut d’ailleurs être engagée s’ils participent sciemment à des manœuvres frauduleuses.

Perspectives d’évolution du dispositif de chômage partiel

Le dispositif de chômage partiel a montré son efficacité pour préserver l’emploi pendant la crise sanitaire. Toutefois, les fraudes massives constatées interrogent sur sa pérennité sous sa forme actuelle.

Plusieurs pistes de réforme sont envisagées pour l’avenir :

  • Un meilleur ciblage des secteurs éligibles
  • Une dégressivité de la prise en charge par l’État
  • Un renforcement des contrôles a priori
  • Une responsabilisation accrue des employeurs

Ces évolutions devront concilier la nécessaire flexibilité du dispositif avec un meilleur contrôle de son utilisation.

Vers une harmonisation européenne ?

La crise du Covid-19 a mis en lumière les disparités entre les systèmes de chômage partiel en Europe. Une réflexion est en cours au niveau communautaire pour harmoniser les dispositifs et faciliter les contrôles transfrontaliers.

Cette harmonisation pourrait passer par la création d’un fonds européen de soutien à l’activité partielle, assorti de règles communes en matière de contrôle et de sanctions.

Un enjeu majeur pour l’avenir du droit du travail

La fraude aux déclarations d’heures de chômage partiel constitue un défi de taille pour les autorités. Au-delà des enjeux financiers immédiats, c’est la crédibilité même de notre système de protection sociale qui est en jeu.

La lutte contre ces pratiques frauduleuses nécessite une mobilisation de l’ensemble des acteurs : pouvoirs publics, partenaires sociaux, experts-comptables, mais aussi salariés. C’est à ce prix que le dispositif de chômage partiel pourra continuer à jouer son rôle d’amortisseur social en période de crise.

L’enjeu est de taille car il en va de la confiance des citoyens dans l’efficacité et l’équité de notre modèle social. Les évolutions à venir du dispositif de chômage partiel devront donc trouver un équilibre subtil entre flexibilité, contrôle et sanctions dissuasives.

In fine, c’est tout le droit du travail qui est appelé à évoluer pour s’adapter aux nouveaux défis posés par les crises économiques et sanitaires. La fraude au chômage partiel aura au moins eu le mérite de mettre en lumière la nécessité d’une modernisation de notre arsenal juridique en la matière.